La force majeure est devenu un concept à la mode pour tenter d’échapper à l’application des obligations contractuelles, mais cela est-il toujours souhaitable ou possible ? Partant du principe qu’aucun événement n’est en lui-même constitutif de force majeure, nous considérons que c’est la réalité contractuelle, les circonstances de l’espèce et les besoins des parties qui vont dicter l’intérêt ou non à faire valoir le concept juridique de la force majeure rendant l’exécution du contrat impossible ou d’appliquer la théorie de l’imprévision rendant l’exécution du contrat plus difficile ou onéreuse. Cette analyse doit être effectuée au car pas cas.
À titre liminaire nous pouvons indiquer que l’application de la force majeure à des contrats n’est pas de facto acquise dans des contextes épidémiologiques (1). Cependant, le COVID-19 implique non seulement une épidémie locale mais une pandémie affectant de nombreux Etats à l’échelle planétaire ayant comme conséquence des mesures de confinement, interdictions de déplacement, une propagation rapide et une haute contagiosité, lesquels sont des éléments nouveaux qui n’existaient pas lors des épidémies précédentes. Les mesures adoptées par les Etats affectant la mobilité des personnes a un impact sur l’exécution de certaines obligations contractuelles. Lorsque les contrats ont un caractère international, le phénomène revêt une ampleur importante du fait du ralentissement de la production mondiale et parfois l’arrêt de certaines plateformes tant logistiques que de transport (y compris la difficulté d’effectuer des réserves sur les produits), conduisant parfois à l’interruption de la chaîne d’approvisionnement. L’évolution rapide de la pandémie sur une période très limitée met à l’épreuve les sociétés qui souhaitent soit faire exécuter les obligations de payer par leurs cocontractants et continuer à développer au moins une partie des obligations contractuelles, soit éviter d’exécuter tout ou partie des obligations contractuelles dans les cas où l’exécution du contrat s’avérerait difficile voire impossible.
Nous allons aborder de façon très synthétique les concepts juridiques de force majeure et la théorie de l’imprévision, leurs conséquences pour ensuite proposer certaines recommandations.
(1) La jurisprudence française révèle qu’en cas d’épidémie (bacille de la peste, grippe N1H1, dengue, chikungunya) l’application de la théorie de la force majeure a été souvent écartée (voir Paris, 25 juill. 1998, Tour Hebdo Nª 944, 2 juin 2000 ; Paris, 25 sept. 1996, Nº 1996/08159 ; Besançon, 8 janv. 2014, Nº 12/0229 ; Nancy, 22 nov. 2010, Nº 09/0003 ; Basse-Terre, 17 déc. 2018, Nº 17/00739).
Une première affaire a été jugée dans laquelle le Covid-19 a été qualifié comme évènement de force majeure, voir Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098.
Au vu de ce qui vient d’être abordé, force est de constater que la force majeure est un concept difficile à mettre en oeuvre dans la pratique. Si les conditions en l’espèce ne sont pas réunies pour invoquer la force majeure, d’autres options sont possibles, notamment l’article 1186 al. 1 du Code Civil qui envisage la caducité d’un contrat pour disparition d’un de ses éléments essentiels, ou encore l’article 1220 du Code Civil sur l’exception d’inexécution. Dans certains cas, ces options peuvent s’avérer intéressantes à explorer.
Lorsqu’en l’espèce il est possible d’invoquer la théorie de l’imprévision ou que les parties sont d’accord pour renégocier certaines clauses du contrat en cours d’exécution, il pourrait être envisagé de :
– Modifier la clause de force majeure en limitant son étendue en excluant, par exemple, la condition de l’imprévisibilité pour faire jouer la clause sur la force majeure
– Rédiger une clause traitant des sujets épidémiques (y compris le Covid-19) dans laquelle les conséquences des effets d’une épidémie sur le contrat sont abordées en détails (par exemple : augmentation des couts d’exécution des obligations contractuelles, éventuelle augmentation du prix du produit ou du service objet du contrat, modification des conditions et montants de la commission dans les contrats d’agence, report d’un événement, etc.).
– Inclure une clause de renégociation du contrat qui inclut particulièrement les conséquences d’un possible échec de la négociation.
Dans le cadre de l’établissement de nouveaux contrats il convient de porter attention particulière à la rédaction de la clause de force majeure en incluant par exemple les épidémies et les pandémies assortie d’une durée au-delà de laquelle les parties pourront renégocier certaines clauses du contrat ou selon le cas, le résilier. Nous ne recommandons pas de faire une liste trop explicite et précise des évènements constituant la force majeure ou l’imprévision mais de rédiger les clauses avec soin en fonction de la qualité ou la position de la partie contractante que l’on représente. Dans le cas de contrats ayant un caractère international et compte tenu du risque que les parties aient une approche divergente sur l’application de la clause de force majeure et ses conséquences, il est recommandé d’effectuer une rédaction la plus détaillée et intelligible possible, afin de bien prendre en compte la dimension internationale de la relation contractuelle. A nouveau, une rédaction soignée sera de nature à réduire le risque d’interprétation de la clause de force majeure ou de l’imprévision tant par les parties que par le juge.
Par ailleurs, les effets associés à la clause de force majeure pourront aussi être limités dans le temps, par exemple en prévoyant une durée spécifique (maximale) de suspension des obligations dans un contexte déterminé et au-delà un mécanisme de résiliation à l’initiative de l’une des parties.